Bonjour Céline, peux tu nous présenter ton parcours professionnel ?

Je suis diplômée vétérinaire depuis 15 ans, Docteur depuis 13 ans après avoir validé ma thèse.
J’ai travaillé pendant 8 ans dans une clinique vétérinaire à activité mixte : je soignais autant de petits animaux domestiques (chiens, chats, NAC…) que des animaux d’élevages (bovins, ovins, caprins…) ou des chevaux.
J’ai ensuite bifurqué dans une clinique à activité purement canine pendant 1,5 ans, avant de réaliser plusieurs remplacements pendant une année.
Pour finir, je travaille depuis trois ans bientôt dans un refuge et un dispensaire tenus par une association de protection animale.

Qu’est-ce qui t’a motivée à emprunter cette voie? Quelles étaient tes ambitions ?

Depuis que je suis enfant, j’ai toujours été fascinée par le monde animal. J’aime la beauté de la Nature, qui est tellement parfaite.
J’ai rapidement su que je voulais soigner les animaux, et je n’ai eu de cesse de le répéter à mes proches. C’était une évidence pour moi, une vocation. Un besoin de réaliser mes rêves.

Qu’aimes-tu dans ce métier, qui te rend heureuse de l’avoir choisi?

Il y a énormément de facettes au métier de vétérinaire. Ce seul diplôme nous offre tellement de possibilités de travail, on peut travailler en clinique comme le font la majorité de mes confrères et consœurs, mais cela nous ouvre également d’autres voies, car nous avons un rôle dans la santé publique humaine également, par exemple en ce qui concerne les maladies zoonotiques que nous surveillons attentivement, ou encore, l’hygiène alimentaire, car nous avons un rôle important à jouer dans la filière alimentaire, en nous occupant des animaux qui sont à l’origine des produits que l’on consomme.
Mais de manière plus personnelle, j’aime le contact avec les animaux, et je me réjouis au quotidien de continuer à les découvrir. Lorsque je travaillais en élevage, je ne me lassais pas d’observer les troupeaux, l’éthologie m’a toujours passionnée.
Au quotidien, je continue d’étudier le comportement des animaux que je croise, simplement en les observant. C’est tellement gratifiant de trouver des solutions à des problèmes de comportement, simplement en réfléchissant aux besoins de l’animal que l’on trouve face à nous, qui sont parfois juste bafoués, ce qui mène aux soucis rencontrés par les propriétaires…
Le contact avec les clients également me plaît, même s’il peut aussi être pénible. Les animaux de compagnie ont pris une place énorme dans la vie des gens, ils apportent du soutien, du réconfort, une présence… parfois, certains propriétaires vivent seul avec leur animal, ils n’ont qu’eux.
Alors les accompagner pour soigner leur animal, toute sa vie jusqu’à ce que celui-ci rende son dernier souffle de la manière la plus paisible qu’on puisse lui apporter, c’est une forme de réconfort qu’on leur apporte.
En refuge et au dispensaire, je m’épanouis encore plus, car j’ai également un rôle social : tant pour remettre en forme de pauvres animaux au passé parfois douloureux, afin de leur offrir une seconde chance, que pour aider les personnes qui n’ont pas les moyens de consulter en clinique d’offrir les soins adaptés à leur animal. Les animaux de compagnie ont une place très importante dans la vie des gens, surtout dans la société actuelle. Les populations les plus malaisées n’ont parfois qu’eux pour les soutenir…



Quelles sont les difficultés que tu rencontres, ou as pu rencontrer, dans ton quotidien? As tu connu des désillusions?

C’est un métier qui n’est pas simple, pour plusieurs raisons :
* Les conditions de travail : nous avons des horaires de folie quand on travaille en clinique avec des gardes de nuit, des week-end, très mal cadrés au niveau de la convention collective (c’est impossible d’appliquer parfaitement le code du travail), mais on l’accepte et subit la pression parce que c’est une vocation, et nous avons l’obligation d’assurer la permanence de continuité de soins, qui est un vrai casse-tête pour un grand nombres de cliniques…
Cela mène parfois à sacrifier notre vie de famille, bien malgré nous.

Ajoutez à cela que c’est physiquement difficile (pas uniquement en activité rurale) et potentiellement dangereux (risques de blessures, risques chimiques, parfois bactériologiques avec les zoonoses, sans compter les agressions verbales/physiques par les gens…)…

* La rémunération : les gens pensent que les vétérinaires gagnent bien leur vie. La majorité des vétérinaires qui bossent en “solo” ou petite clinique (moins de 3 vétérinaires) peinent à se verser un salaire les premières années, ou celui-ci ne monte pas très haut par rapport à l’investissement personnel et financier (les charges sont énormes car l’investissement financier est vraiment important, sans compter les charges salariales et de fonctionnement des locaux, les impôts, etc.)
Quand on voit l’implication, et ce que l’on perçoit après des années d’étude, que cela soit libéral, ou salarié, c’est pas du tout ce que les gens s’imaginent.

* On nous apprend à soigner les animaux. Pas à gérer leurs propriétaires. Et ça, c’est ce qui fait basculer la plupart des vétérinaires qui changent de voie.
L’émotionnel est très présent dans notre métier. C ‘est quand même l’un des rares métier où l’on peut faire pleurer un homme. Et qui dit émotionnel, dit exposition aux réactions des gens. Déjà que l’empathie nous fait partager leur chagrin, mais aussi la condition physique des animaux qu’on soigne et les choses difficiles que l’on peut voir (souffrance animale lors de maltraitance, mais aussi humaine), mais en plus, les gens n’ont parfois plus d’auto-contrôle et nous prennent en “otage”.
Notamment en nous reprochant de ne pas vouloir soigner leurs animaux quand on leur annonce un devis qu’ils ne veulent/peuvent pas payer. Nous entendons des phrases comme « il va mourir par votre faute », au quotidien, c’est très lourd à gérer.
Je vois passer tous les jours des témoignages de confrères et consœurs au bord du burn-out, à cause de la relation clientèle principalement, et c’est un cercle vicieux : moins il y a de vétérinaires, plus les conditions sont difficiles (impossible de se faire remplacer, de recruter pour avoir plus de monde pour se soulager, etc.), et plus les gens finissent par lâcher.
En parallèle, ces conditions finissent par rendre certains patrons exécrables sous la pression subie (on n’apprend pas vraiment aux vétérinaires à être chef d’entreprise, du coup, gérer une clinique en plus du travail à fournir pour rembourser les charges, tout le monde n’a pas la fibre pour le faire…), et cela écœure les salariés.
Sans compter les gens qui font du bashing à tout va sur les réseaux sociaux maintenant pour le moindre truc… ça met une pression énorme, que beaucoup ne supportent plus.

* On assiste aux souffrances des personnes, et je pense notamment aux éleveurs, qui ont un métier très difficile et très mal rémunéré. Je ne crois pas qu’un vétérinaire rural puisse dire qu’il n’a pas connu un seul suicide dans sa clientèle, c’est horrible.
On se sent impuissant à les aider, ils ne peuvent parfois pas nous appeler à cause de leurs difficultés financières… sans compter les critiques qu’ils encaissent, alors qu’ils aiment leurs animaux mais qu’ils peinent à continuer à s’en occuper dans les meilleures conditions possibles à cause du surendettement qu’ils subissent, et les normes toujours plus drastiques mises en place.

* La pénurie de vétérinaires : à cause de tout cela, un quart des jeunes vétérinaires se reconvertissent dans les cinq ans qui suivent leur sortie d’école… 25%! La profession en souffre énormément, les conditions de travail deviennent de plus en plus pénibles par manque de salariés ou d’associés, c’est un cercle vicieux.

* Toutes ces conditions qui se détériorent mènent des groupes financiers à tout racheter : des gens qui n’ont rien de vétérinaire font disparaître une à une les cliniques familiales. Ils feront des contrats avec des laboratoires pour obtenir des remises, dont on devra vendre les médicaments sans vrai choix de prescription, avec des primes d’intéressement basés sur les chiffres d’affaire, etc. La course aux profits nous menace.
Les vétérinaires, comme les médecins, vont finir par perdre leur indépendance, de prescription, de prix, et d’empathie… ça m’effraie énormément que les intérêts financiers surpassent l’aspect humain…

Que penses-tu qui pourrait être fait pour y remédier ?

Dans une société où tout le monde a pris l’habitude d’avoir tout et tout de suite, la patience, le respect, et la compassion sont peu à peu étouffés.
Je ne sais pas comment y remédier, si ce n’est en faisant comprendre aux gens que la situation s’empirera s’ils contribuent à alimenter une société de finances et à ne pas chercher à comprendre la personne qui leur fait face. Mais je n’ai aucune solution miracle…


Quel est ton ressenti actuel concernant ton métier ?

Il est très mitigé. Parce qu’il existe un fossé entre l’image que je m’en faisais, et que beaucoup de personnes croient percevoir, et la réalité du terrain.

J’aime toujours avec passion ce que je fais, parce que je souhaite rester utile face à la souffrance animale, et m’ouvrir aux alternatives thérapeutiques qui se développent (ostéopathie, physiothérapie, phytothérapie…) et qui permettent de limiter l’utilisation des médicaments. J’aime voir le sourire soulagé des propriétaires lorsqu’on leur annonce que leur animal est guéri. J’aime, même si c’est une étape très difficile, lorsqu’un propriétaire me remercie d’avoir su l’accompagner lors des derniers instants de son animal… car c’est très important pour moi de faire en sorte que ce moment soit le plus doux possible, pour l’animal et ses maîtres, pour qu’ils puissent faire leur deuil.
Mais j’ai très peur de la manière dont le métier évolue.
Le malaise de la profession est profond, et purement lié aux difficultés que l’on rencontre. Trop de souffrances, trop de confrères qui mettent fin à leurs jours, et cette perspective de n’avoir peut-être bientôt plus que des objectifs financiers à remplir… ça me terrifie.
Notre métier fait partie des plus exposés au suicide…

Vers quel avenir de la profession se dirige t-on ?

Que dirais-tu à l’enfant que tu étais, si tu te trouvais face à elle?

Je ne sais pas. Rien, sûrement.
Elle a de la chance, car elle va pouvoir réaliser ses rêves, et je ne voudrais pas changer cela. Et quand bien même elle subira des désillusions, des prises de conscience difficiles… il faut qu’elle fasse sa propre expérience pour développer son sens critique, et conserver les valeurs que ses parents lui ont transmis.

Quel message souhaites-tu transmettre à ceux qui te lisent ?

N’oubliez jamais que derrière chaque vétérinaire à qui vous vous adressez, se cache un être humain, qui souffre probablement.
Que si les tarifs vous paraissent onéreux, c’est aussi parce qu’il est obligé de rentabiliser sa clinique : l’amour et la passion des animaux ne paieront pas ses impôts, sa nourriture, sa maison, les études de ses enfants…
Vétérinaire, cela reste un métier. Un métier, cela signifie gagner sa vie, au moins pour subvenir à ses propres besoins.

Car oui, c’est un beau métier… mais malheureusement pollué, comme tant d’autres, par les pressions financières de notre société…

Un grand merci Céline pour tes réponses!

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