Bonjour Julie (*), peux tu présenter le métier que tu exerces ?

Je suis professeur des écoles de classe normale, catégorisé cadre de la fonction publique de niveau A. J’y ai accédé grâce à mon diplôme de Master  (sans rapport) et un concours. Puis titularisée suite à l’année de stage et l’obtention du diplôme universitaire équivalent du Master MEEF.

J’exerce en maternelle en banlieue parisienne.

Qu’est ce qui t’a motivée à emprunter cette voie? Et quelles sont (ou étaient) tes ambitions ?

J’étais directrice artistique en agence de communication multimédia depuis près de 10 ans. Le métier en lui-même n’avait pas de sens. J’avais réussi à signer un poste après mon stage et étant déjà maman, j’avais envie d’une vie stable et salariée. Le but de l’entreprise était basé sur le profit et la concurrence, quelque-soit le client du moment qu’il pouvait payer et qu’il nous avait choisi.

J’ai toujours eu pour ambition de travailler avec les enfants, de pouvoir semer les graines qui feront des adultes différents de ceux d’aujourd’hui. Je voulais travailler avec les enfants le plus jeune possible mais je suis devenue maman de famille nombreuse et Assistante Maternelle n’était pas possible à ce moment là. Donc Professeur des écoles a été une alternative.

Que préfères tu dans ce métier, qui te rend heureuse de l’avoir choisi?

J’ai réussi à travailler avec les enfants de maternelle (ce qui n’est pas forcément possible), ce qui reste la partie de la scolarité qui laisse le plus d’ouvertures à l’art et au plaisir d’apprendre par le jeu. Les progrès des enfants sont aussi plus palpables à cet âge, on grandit ensemble.

Quelles sont maintenant les difficultés que tu rencontres au quotidien ?

Il y en a beaucoup et je ne pense pas que tous les professeurs des écoles rencontrent les mêmes difficultés.

_ Par exemple les effectifs. D’une école à l’autre, même au sein de la même ville, il y a des disparités. Je ne comprends pas comment on peut enseigner dans de bonnes conditions avec 30 enfants sans une atsem à plein temps.

_ La course à la performance, essentiellement axée sur les matières nobles (maths et français). Et donc par conséquent, un système d’évaluation de l’école et nationale. Les enfants représentent des chiffres. Ces chiffres représentent des budgets à allouer ou supprimer (RASED par exemple). Peut-être prochainement que ces chiffres auront pour vocation de nous pourvoir une prime de mérite. C’était un sujet sur la table, donc à suivre…

Au-delà de cela, bien sûr, on crée une génération d’enfants obsédés par des notes et non forcément mieux instruits et encore moins, bien dans leur peau et leur tête. A l’époque l’instruction permettait d’obtenir des qualifications pour avoir un métier en rapport. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont des parcours avec des formations sur le tard. Une année ou deux de formation peuvent permettre d’obtenir de nombreux métiers. L’école pourvoit les bases mais ne promet plus d’avoir le métier de ses rêves. Si on admet que les jeunes aient encore des rêves. Souvent c’est l’appât du gain qui prime.

_ La formation initiale est complètement à revoir. On apprend en faisant et les élèves sont nos cobayes. Ils en souffrent autant que les jeunes professeurs. Il n’y a pas non plus de formation à la gestion de la classe ce qui est pour moi la première chose à savoir faire avant de pouvoir tenter une séance avec un groupe d’élèves.

_ Nous faisons face à de plus en plus d’élèves avec handicap ou avec des défauts d’attention (enfants-écran), ce qui généralement perturbe la classe. On nous a collé l’école inclusive mais sans les moyens pour. 6 mois pour avoir une AVS c’est beaucoup trop long. Les AVS sont très mal payées et mal formées face à tous les handicaps qui existent.

_ On nous parle souvent des vacances mais on n’imagine pas à quel point c’est un métier qui est envahissant. On travaille des heures à la maison pour préparer nos séances. Surtout les premières années ou lorsqu’on change de niveau. La vie de famille passe à côté. Et je trouve très difficile de se dire qu’on ne doit pas faire beaucoup car compte tenu des attendus de l’éducation nationale c’est impossible de rentrer sans avoir de travail (à moins de s’y prendre longtemps à l’avance et encore, il y a toujours des ajustements à faire). Et parfois le porte-monnaie prend cher aussi car il nous manque toujours quelque chose à l’école et le budget n’y est pas.

_ Entre certains enfants et certains parents, aussi cela peut être compliqué. Ce qu’il faut retenir c’est qu’en tant qu’enseignant , l’enfant ou le parent qui pose problème ne voit pas qu’on fait de son mieux pour son bien ou le bien de l’enfant. C’est au cas par cas, difficile de détailler.

_ Les affectations par points, avec rapprochement de conjoints (un système obsolète). J’ai « longtemps » galéré avant de pouvoir travailler à côté de chez moi. Quand on démarre avec au moins 3h de transports par jour avec des bébés à récupérer à la crèche le soir avec le boulot qui nous attend. C’est vraiment la double peine.

_ Après il y a la question de l’équipe, c’est important qu’elle soit solidaire.  De la même façon que les ordres venant du dessus (inspection, ministère) sont parfois vraiment ubuesques. On voit bien que ce ne sont pas des personnes qui sont sur le terrain. Nous sommes dans une société procédurière donc l’éducation nationale se protège aussi. La société surprotège les enfants. C’est tout juste si on a le droit de faire des gâteaux en classe ou d’amener des animaux par crainte d’allergies.  Nous n’avons même plus le droit d’utiliser un désinfectant sur les blessures des enfants… juste de l’eau sans savon…

Que penses tu qu’il faudrait faire pour y palier ?

Déjà je pense que tout démarre par la maternelle. Voire avant, l’envie d’apprendre est la clé.

Arrêter d’en demander autant en maternelle, que l’enfant grandisse en s’épanouissant d’abord. Pour ce qui est des autres cycles que ce soit de l’élémentaire ou collège. Le niveau n’est pas comparable avec il y a 30 ans c’est évident. Pourquoi ? Pourtant la société d’aujourd’hui est bien plus diplômée et instruite. Personne ne s’y penche vraiment, c’est plus facile de mettre la faute sur l’incompétence de l’école ou de supprimer, décaler les chapitres des programmes. Je pense qu’il faudrait tout revoir. Mais peut être que cette envie d’apprendre peut déjà résoudre pas mal de choses.

Quel est ton ressenti actuel concernant ton métier ?

J’ai déjà envie de changer de cap ! Je pense qu’il va être encore beaucoup remanié mais ni pour le bien des élèves ni pour les enseignants. Sans doute plutôt pour faire plaisir aux statistiques.

Que dirais tu à la petite fille que tu étais lorsqu’elle a décidé de prendre cette voie?

Je n’ai jamais voulu être prof quand j’étais petite donc elle avait bien raison de ne pas y penser !

Quel message souhaites tu transmettre à ceux qui te lisent ?

D’arrêter d’envier les profs pour leurs vacances et de penser qu’ils sont fainéants (d’ailleurs ceux qui pensent ça je n’ai jamais compris pourquoi ils ne passaient pas le concours, ils admettent donc que c’est un métier difficile…)

Que c’est finalement le métier qui est la clé de tout ce système. Si on élève nos enfants avec d’autres valeurs (ou si on exige des parents à s’aligner sur les mêmes valeurs) nous n’aurions pas une société obsédée par le profit ou des valeurs superficielles (être populaire sur les réseaux, être beau avec des filtres), une société qui ne considère pas l’écologie ou son prochain (même animal), un société dépressive etc…

Un grand merci à toi Julie (*)!

(*) nom d’emprunt

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