Marie-Dominique a travaillé toute sa carrière en tant que journaliste. Ce roman pédagogique n’est pas moins que le résultat de ses très nombreuses investigations dans le domaine de la joaillerie, qui l’ont inspirée.
L’histoire du diamant, de l’antiquité à nos jours, risque de bien vous surprendre : des manipulations qui ont été mises en place au début du XXème siècle par la publicité initiée par Edward Bernays pour la De Beers et les conséquences qui en ont découlé et qui continuent d’ailleurs, à l’exploitation des mines de diamant un peu partout dans le monde et la manière dont on détruit les sites écologiques… la problématique d’une société de consommation pointée du doigt en 130 pages.
En voici un extrait, mais nous vous invitons à découvrir l’ouvrage au complet.
Extrait de Mémoires d’un Solitaire. Page 128 à 133
…Le krach boursier de New-York en 1929, déclencha la plus grande crise économique du XXe siècle. Elle rejaillit sur l’ensemble du monde occidental et sonna le glas du Paris des Années Folles où l’influence américaine avait été considérable. Pourtant, trois ans après le début de cette Grande Dépression, la couturière parisienne Gabrielle Chanel créait dans la capitale française un événement au goût de scandale. Celle qui révolutionnait les codes vestimentaires à grands coups d’innovations stylistiques et invitait les femmes à porter des bijou en toc, présentait à la vente dans des salons privés, faubourg Saint-Honoré, une spectaculaire collection de parures très modernes, tout en diamants, montées sur platine et dessinées par Paul Iribe, son amoureux et fidèle ami. Taillés dans toutes les formes et toutes les dimensions, les diamants conjuguaient les triangles, les hexagones, les trapèzes, les rectangles, comme une pluie d’étoiles sur des bijoux aériens et avant-gardistes. J’étais au cœur de cette théâtrale mise en scène, paradant de tous mes feux au centre d’un collier Météore articulé dont la monture minimaliste pouvait se métamorphoser selon l’envie en deux éléments différents : broche et bracelet. Comme tous les diamants qui se trouvaient là j’avais été prêté pour l’occasion par Hanz et la Guilde du diamant, dans le but de faire parler de nous et de nous montrer sous nos meilleures facettes. En ces temps de disette, cette extravagance s’adressait non seulement à la clientèle huppée et internationale de Coco Chanel, mais à tous ceux qui souhaitaient thésauriser sans prendre de risques. Et Mademoiselle Chanel, alors au plus fort de sa notoriété, répétait à l’envi, le regard sec « Si j’ai choisi le diamant, c’est parce qu’il représente, avec sa densité, la valeur la plus grande et le plus petit volume ».
D’où venait cette idée d’exposition ? L’homme d’affaires Ernest Oppenheimer qui en 1917 avait créé en Afrique du Sud la holding britannique Anglo American, active dans la production et la transformation minière de diamants, mais aussi d’or, de platine, de charbon etc. était devenu en 1929 après un tour de passe-passe financier, le nouveau patron du conglomérat De Beers, au sein duquel se trouvait la Diamond Development Company. Trois ans plus tard, il y ajoutait la Central Selling Organisation (CSO) qui rassemblait les compagnies d’exploitation du diamant, les sociétés de vente et les unions commerciales ayant toutes leur siège à Londres. Le but étant d’acheter, de trier, de stocker et de vendre la production mondiale de diamants en vue de son écoulement rationnel sur le marché. Et la famille Oppenheimer, désormais détentrice de l’entreprise D Beers Group, cherchait comment vendre ces diamants chaque jour plus nombreux sur le marché, tout en souhaitant leur conserver une indispensable notion de rareté. Car les grands joailliers traditionnels très au fait de la surproduction, nous trouvaient un peu trop communs et pour l’heure nous préféraient rubis, saphirs, émeraudes ou améthystes…
… Cette exposition de 1932 orchestrée sous la houlette conjuguée de Paul Iribe et de Coco Chanel et à laquelle aucun joaillier n’avait voulu participer, était une sorte de test pour voir comment tous ces diamants qui semblaient littéralement jaillir des mines d’Afrique pouvaient garder auprès du public leur fascination. La modernité de ces nouveaux bijoux avait séduit, sans pourtant se révéler concluante. La plupart des parures n’avaient pas trouvé preneur…
Mais si le désamour des humains pour le diamant en parure s’installait imperceptiblement, de nouvelles mines continuaient d’être mises à jour. En Tanzanie par exemple où un géologue canadien venait justement de découvrir un gisement.
En 1937, Hanz m’emmena avec lui à Tel Aviv où il mettait en place avec plusieurs diamantaires d’Anvers, le Palestine Diamond Club, une bourse spécialisée dans les grandes pierres et les diamants, destinés à la joaillerie. Occupées par les Sionistes, la ville aux façades blanches et au balcons arrondis, imprégnée du nouveau style architectural Bauhaus, accueillait de nombreux Juifs d’Allemagne fuyant les persécutions nazies.
De retour en France deux ans plus tard, je m’envolais dans les airs depuis Marseille dans la valise de Hanz à bord de l’un des premiers hydravions de passagers de la compagnie Pan Am. Une vingtaine d’heures plus tard nous amerrissions à New York.
La Seconde Guerre Mondiale qui allait durer 5 ans et tuer plus de 62 millions d’humains, dont une majorité de civils, stoppa net le marché diamantaire européen et mis l’activité joaillière en berne.
Entre temps, l’Occident avait commencé à explorer le continent de l’inconscient mis à jour par Sigmund Freud et une nouvelle forme de communication de masse, apparue au début des années 30, s’était mise en place aux Etats-Unis grâce à Edward Bernays. Baptisé « publicité » et inspiré du concept de la psychanalyse, ce nouveau type de propagande, capable de vanter les mérites de n’importe quel bien de consommation, s’aventurait sur cette Terra Incognita freudienne afin d’inciter le plus grand nombre d’individus à acheter un produit précis…
… J’étais au fond d’une poche de Hanz, à quelques mètres d’Ernest Oppenheimer. Celui-ci se disait prêt à lancer une campagne sur tout le marché nord-américain, afin de donner envie aux gens d’acheter des diamants qui ont perdu toute valeur intrinsèque. Et quelque temps plus tard, planchant sur cette nouvelle stratégie destinée à imprégner l’inconscient populaire occidental, l’agence exposa en première ligne des diamants venus d’Afrique, dans l’usine à fabriquer du rêve : Hollywood. Avec en fer de lance et imaginée par une rédactrice de l’agence une devise qui allait faire le tour du monde Un diamant est éternel. Payés par De Beers, les grands studios cinématographiques mettaient en scène dans des films, de façon insidieuse, les adamas, les ancrant dégoulinant de glamour et d’émotion, au plus profond de l’imaginaire des hommes et des femmes. Cette nouvelle approche du diamant, connut un triomphe avec « Les Hommes préfèrent les blondes » la comédie musicale à succès de Broadway, reprise au cinéma en 1953. Dans ce film, Diamonds are A Girl’s Best Friend, véritable hymne à la gloire des diamants, était chanté par une certaine Marylin Monroe, étincelante ambassadrice de De Beers, dont la prestation allait participer brillamment au mythe populaire de l’actrice…
Hanz qui me gardait toujours près de lui était un ami de Jack Cole, le chorégraphe. Souvent à Hollywood, pour les prises de vue, il s’amusait de tous ces diamants portés dans le film qui n’étaient souvent que des imitations en verre et en cristal, montées sur un métal mat pour minimiser l’éblouissement causé par les lumières du studio.
Peu avant la fin du tournage de Les hommes préfèrent les blondes, Hanz avait rencontré Marylin pour l’inviter à porter lors de la promotion du film, un véritable diamant d’une vingtaine de carats. Et pour lui montrer à quoi pouvait ressembler un adamas de cette taille, il m’avait déposé quelques minutes au creux de ses mains et je me souviens avoir ressenti dans le regard de Marylin, le même émerveillement que dans celui d’Agnès Sorel, 500 ans auparavant.
C’est finalement un diamant jaune canari -la couleur ne concurrençait ni le saphir, ni le rubis, ni l’émeraude !- d’un poids de 24 carats, taillé en poire et prêté par la Meyer Jewelry Company de Detroit que Hanz sélectionna et que Mademoiselle Monroe porta les mois suivants autour de son cou. Un Adamas, venu comme moi des mines de Golconde et que je reconnu, bien qu’ayant été récemment retaillé, pour l’avoir croisé dans l’un des coffres de Louis XIV…